« Je » :

    Nous supposons, sincèrement, que nos idées sont à nous, qu'elles sont nôtres, alors qu'en toute objectivité, le cosmos a produit sur cette planète où nous nous rencontrons, vous et moi, des appareils téléonomiques à transformer de l'énergie [1] - plantes, protozoaires, animaux… - parmi lesquels un animal humain ayant pour fonction énergétique, dans cette partie de la voie lactée où il nous est donné d'exister actuellement, peut-être afin d'équilibrer des forces gravitationnelles dont nous ignorons tout à notre petite échelle planétaire, de « penser »… intellectuellement.

    Le « penseur », la « penseuse » en nous, qui décode chaque pensée se formant automatiquement en ses neurones selon le type d'appareil transformateur d'énergie - ou psychoendocrinotype - qu'il ou elle se trouve être accidentellement, par hasard et par nécessité, génère des repères, des « pensées » qui reviennent automatiquement, devenant rassurantes, telles des postures corporelles - avoir les bras croisés, ou une main gauche ordinairement posée sur la droite, ou autre expression de « soaaa » - [2] contribuant à la formation de cette stupide illusion que nous nommons « moaaa je » en nous au stade I de veille (ou NC 6) lorsque, réalisant que nous nous asseyons d'une certaine manière ou parlons ou écrivons d'une certaine façon, nous nous flattons de reconnaître à ces caractéristiques que nous sommes « nous-mêmes », via « notre » style d'assise, de mouvements, de vêtements, de mots… voire d'émotions, alors qu'en vérité tout ceci nous vient du dehors de nous-même, par simple mimétisme orienté génétiquement puis culturellement par notre - voire nos, au fil du temps - psychoendocrinotype(s) ; le seul vrai « moi-je » capable de se distinguer, en s'en désidentifiant, de ces pensées qui ne sont pas nôtres étant l'« observateur intérieur » qui apparaît dès que nous abordons les rivages du stade II de veille (ou NC 7)…

    Quand « ça » pense « je » en moi, je peux auto-observer que « ça » pense, et non pas que « je » pense, parce que, lorsque « ça » pense, il n'y a pas de connexion neuronale entre la pensée qui se pense en moi et l'être que je suis, pas de neuroconnexion entre cette pensée et le corps qui est là abritant les neurones qui « pensent ».

    Ainsi, le mouvement - voire, plus finement, les mouvements - de la pensée, en nous, baignent, pour ainsi l'exprimer métaphoriquement, dans le mouvement de la vie qui est constitué de nos mouvements… corporels, mais aussi de nos « mouvements » conceptuels (objectuels et intellectuels) et de nos « mouvements » émotivationnels ; toutefois, ce « mouvement de la vie » est séparé de celle-ci, il s'entend : des « mouvements » corporels, conceptuels et émotivationnels qui la constitue, et il ne peut pas être relié à celle-ci, du moins tant que nous restons à fonctionner au stade I, schizoïde, de veille.

    En d'autres termes, quand nous fonctionnons au stade I de veille (ou NC 6), au-delà de notre approche par notre « moaaa je » « penseur », il n'y a pas un « je » en chacun d'entre nous, il y en a au moins trois. Quelqu'un en nous dit « je » qui n'est que notre structure alloprogrammative cognitive, intellectuelle (et, sinon, objectuelle), dite « mentale », dans son ensemble ; soudain un autre « je « s'exprime en bloquant toute « pensée » puis en orientant des « pensées » ou des « actions » vers une direction nouvelle, cet autre « je » étant l'ensemble des mécanismes alloprogrammatifs affectifs, émotivationnels, qulifiables de « sentimentaux », en nous ; ce pendant qu'un troisième « je » peut se manifester tout aussi brusquement (étant l'ensemble des mécaniemes alloprogrammatifs motriréceptifs, corporels, qualifiables humoristiquement de : « physio-sédimentaux », en nous), nous donnant une soudaine envie de manger, ou de copuler, selon les besoins organiques de notre « machine » biologique et psychologique s'exprimant via les commandes de notre hypothalamus ventral ou latéral… ou d'autres structures réticulostriées.

    Ces « je » contradictoires nous portent aux actes manqués, lapsus et autres émotions (ou motivations), perceptions (ou actions) ou réflexions (ou cogitations) [3] perturbatrices. En effet, nous tombons dans l'escalier parce que « ça » « pense » en nous à autre chose qu'à descendre ces escaliers et que nous n'avons pas neuroconnecté ces deux tâches à effectuer alors.

    Certes, nous pouvons descendre ces escaliers et penser sérieusement sans tomber, mais alors nous avons déplacé le centre de gravité de notre « moi » qui nous a conduit à la chute, acte manqué par excellence. Ce centre de gravité biologique et psychologique était dans notre marche, puis il s'est déplacé vers notre pensée, et nous avons dévalé les escaliers parce que nous fonctionnions avec des « je » séparés les uns des autres (et séparés d'avec leur environnement), des « je » schizoïdes. Tandis que si nous nous efforçons de prendre conscience, lorsque nous marchons, du fait que « ça » se met à penser en nous, cette prise de conscience va tendre à déplacer notre centre de gravité biologique et psychologique en un « lieu » situé entre le réseau neuronal affecté à la marche sur escaliers et le réseau neuronal affecté à la « pensée » en cours. Dès lors, tant que nous nous rappellerons cette double tâche (marcher/penser) nous ne tomberons plus, car nous fonctionnerons avec des « je » neuroconnectés les uns aux autres (voire aussi neuroconnectés avec leur environnement) formant un « je » plus grand, plus global, un « je » neuroconnectique.

    Quand « je » est en nous, nous fonctionnons sur un mode « toutes neurostructures activées », mode de fonctionnement impliquant que nos trois neurosystèmes (corporel, émotivationnel, et conceptuel [4]) soient câblés entre eux de telle sorte que  « ça » sente, se meuve, s'émeuve, émeuve, réfléchisse et cogite en nous.

    Enfin, il convient de lire (« lire ») quelques mots concernant l'analyse psychologique des lapsus, actes manqués et autres accidents perturbant nos existences quand nous fonctionnons au stade I de veille (ou NC 6), accidents révélant qu'un « moi je » en nous (cognitif, par exemple) veut nous pousser à agir dans un sens, cependant qu'un autre « moi je », en nous (affectif, par exemple) veut nous pousser à agir dans un autre sens, ce qui va perturber l'orientation et la quantité d'énergie nécessaire à des actions devenant alors contradictoires entre elles, d'où accident !

    Le même accident pouvant avoir lieu lorsqu'il se pense en nous un mot, dans une acception donnée, cependant qu'un autre mot, voisin phonétiquement de celui-ci, mais doté d'un sens répondant à une émotion, à un sentiment latent en nous, sort de notre aire cytoarchitectonique brodmannienne 44…

    Tous ces dysfonctionnements, ces « je » (tantôt cognitif, tantôt affectif et tantôt motriréceptif) prenant la place l'un de l'autre, résultent d'un « Moi » trop petit en nous, d'une fragmentation de nous qui en appelle à un mode de fonctionnement regroupant ces « je » fragmentaires - fragmentés en « ça » - jusqu'à construire un « Moi » de plus en plus global, un Soi unifiant tout notre être.

    Ainsi, au contraire du mode de fonctionnement schizoïde, lorsque « je » pense en moi, je sais que « je pense » parce qu'au moment où s'élabore une pensée dans ma région de Broca, je sens mes bras, ou mon dos, ou ma respiration brocho-pulmonaire, ou mes yeux en train de voir, et caeterra. Ou bien, parce que je ressens, quasi-simultanément, une émotion en rapport avec les êtres auxquels se réfère la pensée s'établissant en moaaa.

    Quand « je » pense - et non pas quand « ça » « pense » -, il n'y a pas simplement une « pensée » schizoïde se formant accidentellement dans le cerveau d'un animal doué de la faculté de « penser », mais il y a un être qui pense, un être parce qu'un ensemble de connexions est établi reliant ce qui pense à celui - corporellement et émotivationnellement - qui pense.

    Une telle pensée - celle produite par « je » - est réelle et non pas schizoïde. Elle n'est pas fragmentée car, lorsque je pense à répondre « oui » à l'invitation de Dan-Phil, tout mon être s'engage, et non pas uniquement ma « pensée », pas seulement ma mécanique cognitive « pensante ». S'engage alors aussi mon corps, qui évalue si je serais capable de me déplacer dans quelques jours pour me rendre à ce rendez-vous, et aussi mon émotion, qui ressent si j'éprouve pour cet invitant assez d'attrait pour me mobiliser joyeusement ce jour -là.

    Avec l'expérience, des neuroconnexions nouvelles s'établissent entre ce qui pense en moi et ce qui s'émeut en moi, qui donnent naissance à de l'intuition et me permet de savoir, d'avance, que je serai ou non présent à l'invitation de Dan-Phil.

    « Je », se distinguant de l'agrégat de mécanismes et d'expériences changeant continuellement de buts voire d'identité, qui s'ose nommer « moi » et qui, en réalité, n'est que « ça » en moi, est celui qui, en chacun de nous, capture l'instant et participe, avec lui, à l'expérience qu'est sa vie.

    Hors de l'instant, « je » n'existe pas car, hors de l'instant, existent seulement un environnement et, en lui, une machine - biologique et psychologique - autoprogrammable, confiée à son « pilotage automatique », qui se nomme elle-même « moi » et qui, souvent, n'est que « ça » en moi.

    Plus cette « machine » est proche du sommeil, plus elle dit et croit être très importante, se sentant indispensable et voulant absolument se reproduire afin de s'assurer qu'elle existe bel et bien.

    Plus un pilote s'éveille en elle, et plus celui-ci évalue allocentriquement, « objectivement » sa petite place dans l'univers ; ici le voisin, la voisine nous semble être notre frère ou notre sœur, un chien ou un ver nous semblent être d'autres formes d'expression du vivant tout aussi intéressantes et utiles que nous le sommes.

© Daniel-Philippe de Sudres, 2006.



[1] Selon l'expression célèbre de Jacques Monod (Le hasard et la nécessité, consulter notre bibliographie).

[2] La neuroconnectique dresse un parallèle fin entre nos « postures » corporelles, conceptuelles et émotivationnelles (consulter le Cours coachant de neuroconnectique, au chapitre 4, volet 2 du livre La neuroconnectique, neuroscience de l'éveil).

[3] Pour qui sait inventer le « fil à couper le beurre » ou la « machine à projeter nos rêves » (suggestion qui fut adressée à l'auteur par l'un de ses camarades de jeunesse, Xavier Leclercq) ! En effet, il n'est pas question de simples réflexions qui se « pensent » en soi automatiquement. Nos réflexions ne peuvent pas nous perturber, tandis que la construction ou la reconstruction d'un modèle logique (cogitation) confronté à une apparente absurdité, peut être très perturbatrice. Ainsi, la pensée créatrice (l'art du docteur), ou simplement organisatrice (l'art de l'ingénieur), constituée de cogitations, peut troubler, notamment lorsque, par exemple, un modèle mathématique s'oppose à l'observation que permet nos sens (nous voyons de la lumière devant nous dans le ciel ; cependant, elle vient de notre droite, mais a été « courbée » par l'espace-temps vers notre « devant nous »). Ou, à l'inverse, lorsqu'une observation remet en cause ce que nous croyions être de nous connu ; par exemple : une substance qui, en se refroidissant, se liquéfie, alors que l'on sait que le froid réorganise les structures moléculaires et, par conséquent, solidifie la matière, du moins la matière que nous connaissons…

[4] Ces systèmes, naguère perçus sous leur aspect anatomique et non sous leur aspect fonctionnel, étaient alors qualifiés de réticulostrié, limbique et encéphalique.

 

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